«Buvez local»: l’appel à l’aide des vignerons suisses

Baisse de la consommation, forte concurrence étrangère, promotion insuffisante: le vignoble suisse est confronté à d’importants vents contraires. La Confédération appelée à la rescousse.

Imaginez un produit de moins en moins consommé, plus cher que la concurrence et qui manque de notoriété en raison d’une promotion insuffisante: dans un marché globalisé, il y a de quoi craindre pour son avenir. C’est le cas du vin suisse, confronté depuis deux décennies à une importante crise structurelle.

Elle a encore été aggravée en 2020 par la pandémie de Covid-19 et en 2021 par un millésime cataclysmique. Les conditions météo difficiles ont entraîné «la pire vendange depuis 1957», selon le rapport de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG): 61 millions de litres ont été récoltés, contre une moyenne de 95 ces dix dernières années.

Le vin «nature», défi ultime du vigneron

Les vins sans soufre ajoutés ont le vent en poupe. En Suisse, ils disposent enfin d’un cahier des charges dédié, initié par le Vaudois Frank Siffert.

Vins «nature», «naturels» ou encore «vivants»: depuis quelques années, ces adjectifs fleurissent sur la devanture des vinothèques et sur les cartes de restaurants branchés des centres urbains.  Ils constituent une tendance en vogue qui s’inscrit dans la volonté de plus en plus de vignerons de travailler sans produits de synthèse, à la vigne comme à la cave. Un mouvement qui répond à la demande croissante des consommateurs pour des vins produits dans le respect de l’environnement, «le plus naturellement possible». 

La notion de vin nature est au cœur de débats animés dans les carnotzets. Pour ses défenseurs, l’utilisation de raisins certifiés biologiques ou biodynamiques et l’interdiction de tout intrant chimique lors des vinifications, sulfites compris permet d’obtenir des vin plus «authentiques», «plus proches du raisin».

Pour les autres, soit la grande majorité des vignerons, la philosophie de l’interventionnisme minimal est un leurre. Ils soulignent que la qualité moyenne des vins s’est considérablement améliorée avec l’avènement de l’œnologie moderne et que le seul vin vraiment «naturel» – certifié sans intervention humaine – reste le vinaigre.   

Ils font vieillir des vins suisses depuis 18 ans, un vrai «trésor»

En 2004, l’association Mémoire des vins suisses s’est fixé comme objectif de démontrer le potentiel de garde des meilleurs crus du pays. Nous avons rencontré la nouvelle génération qui reprend ce défi à son compte.

C’est un constat partagé dans toutes les régions viticoles: les grands vins se reconnaissent à leur faculté à traverser le temps. La mise en avant des meilleurs millésimes, particulièrement aptes à la garde, fait ainsi partie de l’identité des vins de Bordeaux. Le prix des grands crus classés issus des années bénies 1961, 1989 ou 2000 atteignent des niveaux stratosphériques, bien supérieurs à ceux des millésimes récents.

En Suisse, la valorisation des vins de garde a très longtemps été inexistante. Il faut dire que la Dôle valaisanne, le pinot noir neuchâtelois ou le chasselas vaudois étaient systématiquement vinifiés pour être bus dans l’année. C’est d’ailleurs encore souvent le cas: les vignerons peinent à vendre autre chose que leur dernier millésime. C’est ce constat qui est à l’origine de la création de l’association Mémoire des vins suisses (MDVS), en 2004

Le vin du Glacier, une épopée montagnarde

Une soixantaine de producteurs privés en possèdent au moins un tonneau. Elevé à plus de 1200 mètres d’altitude, il reste l’un des ferments de l’identité du val d’Anniviers

On dit que les grands vins se reconnaissent à leur faculté de traverser le temps. Le vin du Glacier répond parfaitement à cette définition. Né il y a plusieurs siècles de la transhumance des paysans entre Sierre et le val d’Anniviers, ce vin oxydatif vinifié selon le principe de la solera (ou réserve perpétuelle, avec addition de plusieurs millésimes) représente une tradition encore bien vivante. C’est ce que démontre un livre récent que lui a dédié l’expert en vin Dominique Fornage, avec le précieux soutien de Charly Zufferey, photographe amateur, et d’Alain Zuber, lui-même propriétaire de deux tonneaux de Glacier.

Cette monographie de plus de 200 pages offre une cartographie très précise de ce patrimoine liquide. Avec une surprise de taille, même pour les Anniviards: outre une quinzaine de bourgeoisies et de sociétés de tir, les auteurs ont recensé une soixantaine de propriétaires privés possédant le plus souvent un seul tonneau, comme le cuisinier de Sierre Didier de Courten. «Nous avons été étonnés d’avoir un nombre aussi élevé de privés, souligne Alain Zuber. La plupart ne se connaissaient pas.»

La vigneronne venue de l’Est

Mathilda Olmi

Arrivée en Suisse en 2003, la Roumaine Valentina Andrei a appris le métier auprès de Marie-Thérèse Chappaz avant de prendre son indépendance. Avec une ténacité hors normes, elle s’est imposée comme une référence du vin suisse

C’était un rêve, un projet de vie. Depuis qu’elle a décidé de devenir vigneronne, à l’adolescence, Valentina Andrei a toujours voulu posséder son propre domaine viticole. La native de Botosani, au nord de la Roumanie, y est parvenue en 2012, moins de dix ans après son arrivée en Suisse. Femme dans un métier resté très masculin, immigrée dans un Valais viticole conservateur, elle a gagné le respect de tous par son travail acharné et la grande qualité de ses vins.

Dans son petit caveau de Saillon, racheté en 2015 à l’ancienne légende du FC Sion Fernand Luisier, elle mesure le chemin parcouru. Avec fierté, mais sans aucune nostalgie. «Dans la vie, c’est l’avenir qui m’intéresse, je ne regarde pas derrière moi.» Une philosophie qu’elle applique à ses vins. «Une fois qu’un millésime a été mis en bouteille, je ne m’y intéresse plus du tout. Tu ne peux plus rien changer, alors à quoi bon?»

Le grenache noir sur le grill: la leçon de la Réserve des Célestins

grenache

Riche en alcool, pauvre en acidité, le cépage originaire de l’est de l’Espagne n’est pas facile à domestiquer. Mais il peut donner des cuvées d’une finesse et d’une profondeur remarquables, à l’image de la célèbre cuvée  du domaine Henri Bonneau. Récit d’une dégustation extraordinaire.

Même si c’est le 7e cépage le plus cultivé au monde, le grenache noir reste largement méconnu en Suisse. Il y a deux raison à cela : il est totalement absent de nos vignobles, ce qui est relativement rare ; dans les régions où il est cultivé, il est très souvent assemblé, ce qui complique l’affirmation de son identité. C’est pourtant une variété à fort potentiel, comme en témoigne la réputation internationale de Château Rayas, la cuvée de grenache la plus célèbre au monde. Un mythe que j’ai eu l’occasion de déguster à plusieurs reprises, dont une verticale organisée en 2015 par le vigneron vaudois Raoul Cruchon.

Le 20 février dernier, c’est une autre dégustation exceptionnelle qui m’a permis de prendre la pleine mesure du potentiel des 100% grenache. Organisée au Kavo de Vevey par Laurent Maffli, un amateur passionné et éclairé, elle regroupait des grenaches pures (ou presque) issues de différentes régions du monde. Une sélection de haut vol, avec uniquement des cuvées de référence issues de différents millésimes. Elles ont été dégustées à l’aveugle par série de 2 à 3 vins.

En introduction, le généticien de la vigne José Vouillamoz et l’oeno-parfumeur Richard Pfister ont fait un focus sur l’origine du grenache et sur ses caractéristiques organoleptiques. Pour faire très bref, la grenache est originaire de la région d’Aragon, à l’est de l’Espagne. Sa présence en Sardaigne dès le 16e siècle, où il est appelé cannonau et où on revendique sa paternité, s’explique par le fait que l’île a été une colonie aragonaise de 1323 à 1720. Preuve supplémentaire que le berceau du cépage est aragonais: une biodiversité beaucoup plus développée, avec de nombreuses mutations (dont des grenaches grises et blanches, introuvables en Sardaigne).

Aujourd’hui, la grenache, avec ses grosses grappes bleutées, recouvre plus de 180’000 hectares sur la planète, dont 81’000 ha en France (Châteauneuf-du-Pape, Gigondas, Côtes-du-Rhône notamment) et 62’000 ha en Espagne (Aragon, Rioja, Navarre). On la trouve également en Italie, bien sûr, mais aussi Etats-Unis, en Australie et en Argentine. Les vins dont elle est issue sont souvent généreux, gourmands, avec peu d’acidité et une teneur en alcool élevée. Avec un grand défi pour les producteurs : garder de la fraîcheur pour proposer des vins digestes, élégants, avec une aromatique sur la cerise plutôt que sur le pruneau sec.   

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Les pépites qui incarnent le renouveau des vins neuchâtelois

Sous l’impulsion de la nouvelle génération, plusieurs cuvées de référence ont émergé ces dernières années au sein du vignoble cantonal. Petite revue de détail.

Longtemps ignorés au sein d’une Suisse viticole très cloisonnée, les vins neuchâtelois sont entrés dans une nouvelle dimension ces dix dernières années. Ce pas en avant est en grande partie lié à l’émulation créée par l’arrivée d’une nouvelle génération inventive et bien formée à la tête de domaines de référence.

Elle a apporté un gain qualitatif évident qui a coïncidé avec l’éclosion de nouvelles cuvées, dont plusieurs pinots noirs parcellaires pensés sur le modèle bourguignon: le raisin provient d’un seul parchet afin d’exprimer au mieux la spécificité du lieu. 

Les vins suisses en quête de grandeur

A l’heure de la mondialisation, les meilleures cuvées «Swiss made» ne font pas rêver, quelles que soient leurs qualités. Rarement exportées, elles sont souvent bues dans leur canton d’origine et peinent à accéder à la notoriété internationale.

Pour faire du vin, c’est assez simple: du raisin fermenté puis pressé (pour le rouge) ou pressé puis fermenté (pour la blanc) avec un suivi serré pour éviter que le moût se transforme vinaigre. Après, il faut le vendre, et c’est un autre métier. Dans un marché globalisé, les domaines viticoles qui visent le haut de gamme sont confrontés à une même difficulté: savoir faire du «bon» vin, ce qui est de plus en plus fréquent, mais aussi le faire savoir.

Au sommet de la pyramide qualitative, la catégorie des «grands» vins regroupe des crus d’exception. Par leur qualité, bien sûr, mais aussi par leur singularité: le vin sort alors de sa condition de produit de consommation pour devenir un objet de désir, un produit de luxe. Cette mystérieuse alchimie lui permet d’atteindre une notoriété internationale avec, le plus souvent, une forte augmentation de son prix. Au point que certains crus sont devenus des cibles prisées des spéculateurs

André Hoffmann, militant pour une viticulture durable

Passionné par le vin, le descendant des fondateurs du groupe pharmaceutique Roche a racheté en 2017 des vignobles à Yvorne et en Bourgogne avec l’objectif de s’extraire des produits de synthèse. Rencontre au carnotzet.

Par la porte entrouverte, on entend des rires sonores et les éclats d’une discussion passionnée. Installés dans le carnotzet du Domaine de la Pierre Latine, à Yvorne, Philippe Gex et André Hoffmann refont le monde en partageant un verre de chasselas. Complices, les deux sexagénaires se connaissent depuis presque vingt ans. «Lorsque j’étais gouverneur de la Confrérie du Guillon, j’ai intronisé le père d’André, Luc Hoffmann, précise le premier. On est devenus amis.»

Ce lien, solidement ancré dans le terroir vaudois, a pris une nouvelle dimension en 2017 quand André Hoffmann a racheté les 15 hectares de la Pierre Latine. «On en parlait depuis plusieurs années, les choses se sont faites naturellement», précise le nouveau propriétaire, descendant des fondateurs du groupe pharmaceutique Hoffmann-La Roche. «Pour moi, c’est la meilleure solution possible, enchaîne Philippe Gex. Ma fille unique n’a pas d’intérêt pour le vin. Avec cette vente, j’assure la pérennité du domaine tout en restant aux commandes de l’exploitation.»

Morgan Meier, le pinot noir comme étendard

En trois millésimes, l’œnologue s’est imposé comme une des locomotives de la viticulture neuchâteloise, remportant cette année le titre de champion suisse pour ses Landions 2018.

Morgan Meier fait partie d’une espèce rare: ceux pour qui l’année 2020 n’est pas complètement à oublier. A la fin du mois d’octobre, l’œnologue neuchâtelois, 30 ans, a remporté la catégorie «pinot noir» du Grand Prix du vin suisse avec Les Landions 2018, cuvée parcellaire qui porte le même nom que le domaine. Ce titre faisait suite à l’inauguration, en mars dernier, d’un nouvel espace de vinification et d’élevage situé au milieu des vignes, à Cortaillod, en face de l’ancienne ferme qu’il utilisait jusque-là.

Depuis l’intérieur de ce parallélépipède de béton, une large baie vitrée permet d’admirer les ceps qui ondulent dans le vent et, à l’horizon, les premiers contreforts du massif jurassien. Mais le décor n’est pas la priorité de Morgan Meier: «Ce nouvel outil de travail change beaucoup de choses sur le plan pratique. Auparavant, par manque de place, je devais faire l’étiquetage à l’extérieur. En hiver, à cause du froid, les étiquettes ne collaient pas. C’était un peu compliqué. Sans parler du stockage de nos fûts de chêne… Nous étions vraiment très à l’étroit.»