Les pépites qui incarnent le renouveau des vins neuchâtelois

Sous l’impulsion de la nouvelle génération, plusieurs cuvées de référence ont émergé ces dernières années au sein du vignoble cantonal. Petite revue de détail.

Longtemps ignorés au sein d’une Suisse viticole très cloisonnée, les vins neuchâtelois sont entrés dans une nouvelle dimension ces dix dernières années. Ce pas en avant est en grande partie lié à l’émulation créée par l’arrivée d’une nouvelle génération inventive et bien formée à la tête de domaines de référence.

Elle a apporté un gain qualitatif évident qui a coïncidé avec l’éclosion de nouvelles cuvées, dont plusieurs pinots noirs parcellaires pensés sur le modèle bourguignon: le raisin provient d’un seul parchet afin d’exprimer au mieux la spécificité du lieu. 

Les vins suisses en quête de grandeur

A l’heure de la mondialisation, les meilleures cuvées «Swiss made» ne font pas rêver, quelles que soient leurs qualités. Rarement exportées, elles sont souvent bues dans leur canton d’origine et peinent à accéder à la notoriété internationale.

Pour faire du vin, c’est assez simple: du raisin fermenté puis pressé (pour le rouge) ou pressé puis fermenté (pour la blanc) avec un suivi serré pour éviter que le moût se transforme vinaigre. Après, il faut le vendre, et c’est un autre métier. Dans un marché globalisé, les domaines viticoles qui visent le haut de gamme sont confrontés à une même difficulté: savoir faire du «bon» vin, ce qui est de plus en plus fréquent, mais aussi le faire savoir.

Au sommet de la pyramide qualitative, la catégorie des «grands» vins regroupe des crus d’exception. Par leur qualité, bien sûr, mais aussi par leur singularité: le vin sort alors de sa condition de produit de consommation pour devenir un objet de désir, un produit de luxe. Cette mystérieuse alchimie lui permet d’atteindre une notoriété internationale avec, le plus souvent, une forte augmentation de son prix. Au point que certains crus sont devenus des cibles prisées des spéculateurs

André Hoffmann, militant pour une viticulture durable

Passionné par le vin, le descendant des fondateurs du groupe pharmaceutique Roche a racheté en 2017 des vignobles à Yvorne et en Bourgogne avec l’objectif de s’extraire des produits de synthèse. Rencontre au carnotzet.

Par la porte entrouverte, on entend des rires sonores et les éclats d’une discussion passionnée. Installés dans le carnotzet du Domaine de la Pierre Latine, à Yvorne, Philippe Gex et André Hoffmann refont le monde en partageant un verre de chasselas. Complices, les deux sexagénaires se connaissent depuis presque vingt ans. «Lorsque j’étais gouverneur de la Confrérie du Guillon, j’ai intronisé le père d’André, Luc Hoffmann, précise le premier. On est devenus amis.»

Ce lien, solidement ancré dans le terroir vaudois, a pris une nouvelle dimension en 2017 quand André Hoffmann a racheté les 15 hectares de la Pierre Latine. «On en parlait depuis plusieurs années, les choses se sont faites naturellement», précise le nouveau propriétaire, descendant des fondateurs du groupe pharmaceutique Hoffmann-La Roche. «Pour moi, c’est la meilleure solution possible, enchaîne Philippe Gex. Ma fille unique n’a pas d’intérêt pour le vin. Avec cette vente, j’assure la pérennité du domaine tout en restant aux commandes de l’exploitation.»

Un fendant qui en redemande

Mikaël Magliocco produit des vins frais et ciselés qui appartiennent à l’élite valaisanne.

En Valais, la surface de fendant a été réduite de moitié en vingt ans, pour s’établir à environ 800 hectares. A la tête du domaine familial de Chamoson depuis 2011, Mikaël Magliocco a pris le contre-pied: il en a replanté, séduit par sa capacité à révéler son terroir. «C’est un cépage que j’apprécie beaucoup, avec beaucoup de finesse, qui a longtemps pâti de rendements excessifs», précise l’œnologue, diplômé à Changins en 2007.

Morgan Meier, le pinot noir comme étendard

En trois millésimes, l’œnologue s’est imposé comme une des locomotives de la viticulture neuchâteloise, remportant cette année le titre de champion suisse pour ses Landions 2018.

Morgan Meier fait partie d’une espèce rare: ceux pour qui l’année 2020 n’est pas complètement à oublier. A la fin du mois d’octobre, l’œnologue neuchâtelois, 30 ans, a remporté la catégorie «pinot noir» du Grand Prix du vin suisse avec Les Landions 2018, cuvée parcellaire qui porte le même nom que le domaine. Ce titre faisait suite à l’inauguration, en mars dernier, d’un nouvel espace de vinification et d’élevage situé au milieu des vignes, à Cortaillod, en face de l’ancienne ferme qu’il utilisait jusque-là.

Depuis l’intérieur de ce parallélépipède de béton, une large baie vitrée permet d’admirer les ceps qui ondulent dans le vent et, à l’horizon, les premiers contreforts du massif jurassien. Mais le décor n’est pas la priorité de Morgan Meier: «Ce nouvel outil de travail change beaucoup de choses sur le plan pratique. Auparavant, par manque de place, je devais faire l’étiquetage à l’extérieur. En hiver, à cause du froid, les étiquettes ne collaient pas. C’était un peu compliqué. Sans parler du stockage de nos fûts de chêne… Nous étions vraiment très à l’étroit.»

Le Domaine Montimbert, un grand blanc de Lavaux

Le pinot gris vinifié par Christin Rütsche est une grande réussite.

Berceau du chasselas, le Lavaux est une terre à vins blancs. Le pinot gris 2018 du Domaine Montimbert, à Chardonne, le rappelle avec éclat. Son nez est plein de promesses, avec des notes subtiles de fleurs blanches, de pomelo et de pierres mouillées. La bouche est à l’avenant, ciselée et charnue, avec un équilibre parfait entre matière et acidité. On retrouve des arômes d’agrumes, avec une belle finale salivante. Un vin superbe, idéal pour sublimer des asperges.

Le sang du Christ désacralisé

Pour célébrer l’Eucharistie, la plupart des églises choisissent du vin blanc légèrement doux acheté dans le commerce ou fourni par des vignerons locaux. Cette évolution marque une rupture avec la tradition d’un vin sacré  à l’étiquette dédiée  

Pas de messe ni de culte sans vin. Dès les premières célébrations de l’Eucharistie, le vin, « sang du Christ », était consacré et partagé entre les fidèles présents. Si la doctrine a évolué au cours des siècles, le rituel, lui, repose sur un socle immuable: le vin de la communion doit provenir de raisins fermentés sans ajout de sucre et sans aucun additif. Cette règle ne tolère aucune exception, comme l’a rappelé en juin 2017 la Congrégation romaine pour le culte divin et la discipline des sacrements dans une lettre circulaire adressée aux évêques. Publiée en français et dans sept autres langues, dont le latin, elle rappelait la « motivation théologique » de l’utilisation « de vin authentique ».

Du vin, du vrai, mais sans certification: l’Église fait confiance à ses ministres pour s’assurer de sa validité: il ne porte pas de label comme les produits casher (chez les juifs) ou halal (chez les musulmans). Tout vin de raisin pur convient pour cet usage. Les paroisses peuvent également librement choisir la couleur du vin: au fil du temps, le blanc a remplacé le rouge. Une option qui s’est imposée pour des raisons pratiques avant tout, selon Mgr Charles Morerod, évêque du diocèse de Genève, Lausanne et Fribourg: « On prend du blanc, et c’est souvent du vin doux parce qu’il se conserve mieux hors du frigo, une fois ouvert. » Autre argument souvent évoqué: le vin blanc a l’avantage de ne pas tâcher le linge  d’autel.

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Un pinot alémanique de référence

L’Argovien Tom Litwan produit des vins authentiques, à son image

Tom Litwan est venu à la vigne… par le vin. Comme le Grison Daniel Gantenbein ou le Tessinois Enrico Trapletti, devenus des stars du vin suisse après avoir exercé un autre métier, le vigneron argovien a suivi une formation de maçon avant de trouver sa voie. Le déclic? La découverte de pépites lors d’un séjour bourguignon. Dans la foulée, il commence un apprentissage de vigneron et part faire ses armes au bord du lac de Bienne puis à Genève, au Domaine des Balisiers.

Edmond Gasser, l’excellence faite sommelier

Nommé «Sommelier de l’année» 2020 par le GaultMillau, le Parisien impressionne par sa culture et son entregent. Rencontre autour d’un verre de vin

Edmond Gasser (Eddy Mottaz/Le Temps)

On lui avait demandé de choisir un vin pour accompagner l’entretien. Edmond Gasser a opté pour la cuvée Coò, du domaine Zündel, au Tessin. Un chardonnay tranchant à la finale iodée qu’il décrit avec précision après l’avoir rapidement pris en bouche. Ce choix résume très bien l’approche du vin de ce Parisien de 30 ans, nommé meilleur sommelier de Suisse 2020 par le GaultMillau: découvrir des vins à forte personnalité que l’on a du plaisir à boire et boire encore: «Je me pose toujours la même question: ce vin donne-t-il envie d’en reprendre un verre? Là, c’est le cas, n’est-ce pas?»

Edmond Gasser est ainsi: il n’assène pas, il questionne. Il n’impose rien, il propose avec tact, délicatesse et entregent. Ouvert à tout, il aime découvrir de nouvelles références. La curiosité est même une marque de fabrique, qu’il n’a pas perdue depuis sa nomination au poste de chef sommelier du restaurant Anne-Sophie Pic, au Beau-Rivage Palace de Lausanne, en janvier 2019. «Le risque, dans un palace, c’est de perdre la flamme, reconnaît-il. Des sommeliers blasés, il y en a des tonnes. Ils ne vibrent plus. Dans ces conditions, on est assez vite en roue libre. Je veux à tout prix l’éviter.»

Cuvée Milo 2018, Romain Cipolla

«Fais de ta vie un rêve et d’un rêve une réalité.» La citation de Saint-Exupéry donne tout de suite le ton sur la page d’accueil du site internet de Romain Cipolla: le jeune Fribourgeois exilé dans le Haut-Valais est animé par la passion du vin. C’est l’amour du divin nectar qui l’a poussé à s’inscrire à l’école de Changins pour devenir œnologue. Son diplôme en poche, ce vigneron sans terre est parti en stage chez Claudy Clavien, à Miège, puis chez Philippe Constantin, à Salquenen. C’est chez ce dernier qu’il a vinifié son premier millésime à son nom, en 2014, avant d’emménager dans ses propres locaux à Raron, en 2019…