L’illustrateur et bédéiste Michel Tolmer possède un talent rare pour croquer les obsessions universelles des fous de la dive bouteille. Avec trois héros qui ne boivent pas trop, mais tout le temps
-Bon, qu’est-ce qu’on boit maintenant?
-Et si on goûtait un bordeaux?
-Un bordeaux? Il y a des limites à la vulgarité!
-Ha, ha, ha, du vin de compagnie d’assurances. S’il y avait un terroir à bordeaux, ça se saurait.
-J’allais vous proposer Palmer 89, mais je suppose que ça ne vous intéresse pas?
-Bôh, fais goûter quand même…. Faut pas être sectaire…
La scénette fait partie du premier album de Mimi, Fifi & Glouglou, géniale bande dessinée de Michel Tolmer. Il faut imaginer trois copains, un maigre, un petit et un gros aux traits minimalistes et à la langue bien pendue. Trois fondus de vins qui ne pensent qu’à ça, quitte à (parfois) pourrir la vie à leur entourage. Au fil des planches, ils expriment avec un humour souvent tendre, parfois corrosif, toute la complexité de la dégustation. Un acte éminemment culturel, avec ses codes, son jargon et, pour les trois amis, l’envie réitérée de recommencer. Leur problème n’est pas tellement qu’ils boivent trop, mais tout le temps.
A travers ses personnages, Tolmer souligne sa préférence pour les vins sans soufre, ou « naturels ». Mais sans sectarisme, ce qui est rafraîchissant par les temps qui courent. Il se moque ainsi sans vergogne des buveurs d’étiquettes, mais aussi des ayatollahs du vin qui se fait tout seul. Avec un message subliminal: le vin est beaucoup trop complexe pour qu’on puisse prétendre détenir LA vérité, comme aiment le faire les dogmatiques.
Bien sûr, les deux albums sortis à ce stade (« Petit traité de dégustation » et « Dégustateurs de combat ») font surtout rire les passionnés de vin, leur renvoyant par effet miroir l’étendue de leurs (in)suffisances. Car si boire du vin est à la portée de tout le monde, en parler, c’est autre chose. La dégustation est un exercice délicat qui expose ses adeptes à la peur d’être pris en flagrant délit d’ignorance.
Une école d’humilité, donc, comme quand les trois zigues sèchent après avoir dégusté un Château Musar à l’aveugle. « Tu as une idée, toi? On pourrait penser à un Languedoc. Ou à un vallée du Rhône. J’ai jamais goûté ça », assure le maigre, l’air dépité. Et voilà son épouse qui débarque. Elle goûte rapidement dans le verre de son mari et donne son verdict devant les trois buveurs goguenards: « On dirait le vin qu’on a bu la semaine dernière dans la restaurant libanais, ose-t-elle. Château Musar, c’est ça? » Le vin est déchemisé: c’est bien ça! L’experte en remet une couche pour fouetter l’amour propre de son conjoint: « C’est bien la peine passer autant de temps à t’entraîner avec tes copains! »
Pour découvrir l’univers de Tolmer: www.glougueule.fr