Riche en alcool, pauvre en acidité, le cépage originaire de l’est de l’Espagne n’est pas facile à domestiquer. Mais il peut donner des cuvées d’une finesse et d’une profondeur remarquables, à l’image de la célèbre cuvée du domaine Henri Bonneau. Récit d’une dégustation extraordinaire.
Même si c’est le 7e cépage le plus cultivé au monde, le grenache noir reste largement méconnu en Suisse. Il y a deux raison à cela : il est totalement absent de nos vignobles, ce qui est relativement rare ; dans les régions où il est cultivé, il est très souvent assemblé, ce qui complique l’affirmation de son identité. C’est pourtant une variété à fort potentiel, comme en témoigne la réputation internationale de Château Rayas, la cuvée de grenache la plus célèbre au monde. Un mythe que j’ai eu l’occasion de déguster à plusieurs reprises, dont une verticale organisée en 2015 par le vigneron vaudois Raoul Cruchon.
Le 20 février dernier, c’est une autre dégustation exceptionnelle qui m’a permis de prendre la pleine mesure du potentiel des 100% grenache. Organisée au Kavo de Vevey par Laurent Maffli, un amateur passionné et éclairé, elle regroupait des grenaches pures (ou presque) issues de différentes régions du monde. Une sélection de haut vol, avec uniquement des cuvées de référence issues de différents millésimes. Elles ont été dégustées à l’aveugle par série de 2 à 3 vins.
En introduction, le généticien de la vigne José Vouillamoz et l’oeno-parfumeur Richard Pfister ont fait un focus sur l’origine du grenache et sur ses caractéristiques organoleptiques. Pour faire très bref, la grenache est originaire de la région d’Aragon, à l’est de l’Espagne. Sa présence en Sardaigne dès le 16e siècle, où il est appelé cannonau et où on revendique sa paternité, s’explique par le fait que l’île a été une colonie aragonaise de 1323 à 1720. Preuve supplémentaire que le berceau du cépage est aragonais: une biodiversité beaucoup plus développée, avec de nombreuses mutations (dont des grenaches grises et blanches, introuvables en Sardaigne).
Aujourd’hui, la grenache, avec ses grosses grappes bleutées, recouvre plus de 180’000 hectares sur la planète, dont 81’000 ha en France (Châteauneuf-du-Pape, Gigondas, Côtes-du-Rhône notamment) et 62’000 ha en Espagne (Aragon, Rioja, Navarre). On la trouve également en Italie, bien sûr, mais aussi Etats-Unis, en Australie et en Argentine. Les vins dont elle est issue sont souvent généreux, gourmands, avec peu d’acidité et une teneur en alcool élevée. Avec un grand défi pour les producteurs : garder de la fraîcheur pour proposer des vins digestes, élégants, avec une aromatique sur la cerise plutôt que sur le pruneau sec.
Après ce préliminaire théorique, passons à la pratique. Laurent Maffli avait sélectionné 13 vins haut de gamme (entre 50 et plus de 500 francs). J’ai rédigé une note de dégustation pour les vins que j’ai noté 17/20 ou plus. Des fiches descriptives de tous les vins dégustés est disponible dans la galerie ci-dessous (ouvrir l’image dans une nouvelle fenêtre). Merci à Laurent Maffli pour cet exercice de synthèse!
Mes cuvées préférées
Une claque, un uppercut, une leçon. La Réserve des Célestins 2007 a fait l’unanimité des convives présents – de loin le vin que j’ai le mieux noté. Une légende fidèle à sa réputation, pas loin de la perfection. Châteauneuf-du-Pape au sommet. Dans le même millésime, Rayas n’a pas soutenu la comparaison (lire plus bas).
Réserve des Célestins 2007 – Henri Bonneau (ma note: 19,5/20)
Robe rubis. Nez complexe, mais encore très jeune, sans trace d’évolution. On retrouve la cerise, des effluves de garrigue avec de fines notes de cuir et d’encens. La bouche est magistrale, corsée, riche mais sans lourdeur, avec un fruit patiné. Trame serrée, finale très longue, gourmande, qui en redemande. Un must.
G. Punto 2018 – Duemani (17,5/20)
Robe rubis peu marquée, qui évoque un raisin juste infusé. Nez expressif sur la confiture de cerise, la framboise écrasée, une note florale et une pointe d’anis. Le fruit est précis, la texture caressante avec des tanins bien intégrés, alcool modéré. Longueur moyenne. Un vin avec beaucoup de charme, à la fois subtil et digeste.
Rumbo al Norte 2017 – Comando G (17,5/20)
Robe rubis peu marquée. Le nez exhale des arômes sur la fraîcheur, avec la cerise, la rose, l’herbe séchée et une note poivrée. La texture en bouche est veloutée, caressante, avec des tanins serrés et un alcool bien présent, un poil trop à mon goût. Belle finale avec une note de graphite. Un vin un peu hors normes.
Chaupin 2007, Domaine de la Janasse (18/20)
Robe rubis, un peu plus marquée que les vins précédents. On reconnaît le profil d’un Châteauneuf-du-Pape, avec un nez sur les fruits noirs et la violette. La bouche est concentrée, avec beaucoup de souplesse et des tanins déjà fondus, mais de la sapidité. J’ai beaucoup aimé son équilibre, sans aucune lourdeur, avec des notes de réglisse et d’épices qui magnifient la finale. Une gourmandise.
The Gorgeous Victim 2017 – Sine Qua Non (17/20)
Robe rubis. Nez très expressif, sur des arômes de cerises mûres, de rose fanée, de lavande, de cuir et de tabac blond. La bouche est concentrée, dense, avec des tanins fermes et une acidité surprenante pour le cépage. Belle finale malgré 15,7 degrés d’alcool. Un vin un peu baroque, mais malgré tout bien apprécié.
Pour boucler la boucle, impossible de ne pas évoquer la déception provoquée par le Rayas 2007, positionné juste après la Réserve des Célestins. Il devait théoriquement constituer le point culminant de la dégustation. Las, il n’a pas tenu sont rang, loin des standards du domaine. Il y avait du fond, mais le vin semblait fatigué, sans éclat, avec des arômes suspects d’oxydation. Je l’ai noté 15/20. Plusieurs convives ont évoqué un problème de bouchon sur cette bouteille. Il n’y en avait pas une seconde pour en avoir le cœur net.